Performances

APPARTEMENT TEMOIN
(the making of)
 

Vous trouvez le documentaire là: http://youtu.be/PIZKBx2qjiI
Comme c'est très souvent le cas dans l'élaboration d'un projet artistique, le projet se métamorphose plusieurs fois entre le moment où on écrit le projet et celui où on le présente.
C'est ce qui c'est passé avec le projet "appartement témoin".

PROJET DE BASE
Tonamiepourtoujours a été invitée à proposer un projet dans le cadre du "Baz'art" de la rue Lissignol, manifestation artistique pluridisciplinaire qui se tenait les 12 et 13 juin 2010 et qui proposait d'investir à cette occasion tous les espaces publics de la rue ainsi que les espaces privés des immeubles participants à l'événement (appartements, caves, greniers, etc...) (www.baz-art.ch)

Notre idée initiale était de créer des rencontres entre personnes de tous horizons qui cherchent un logement à Genève et des projets de logement associatifs existants, en plaçant ces projets existants dans un contexte historique politique et économique. Nous partions du constat que le squatt ou le logement associatif est méconnu et de ce fait souvent aussi un peu galvaudé par la majorité de la population qui associe ces initiatives de "hippy" au mieux, de "profiteurs du système" la plupart du temps, ceci étant peut-être en grande partie lié, sinon à une certaine esthétique du "monde alternatif", en tout cas à une méfiance par méconnaissance. Nous souhaitions, peut-être faire fraterniser mais au moins confronter ces deux mondes et ouvrir à des questionnements de part et d'autre.

Pour aiguiser la curiosité en même temps qu'attirer un public "non acquis à la cause"; par "cause", nous entendons les voies alternatives de logement mais aussi la performance artistique dans le contexte d'une manifestation culturelle; nous avons décidé de publier des annonces dans les pages immobilières de plusieurs journaux et sites internet spécialisés, en invitant les gens à une "visite guidée d'un appartement témoin", l'appartement témoin en question, réellement habité et laissé en l'état, témoignant d'un choix d'habitat en collectivité et non d'un projet de promoteur.  Pour cela notre choix s'est porté sur l'immeuble de logements sous contrat de confiance, 1-3 de la rue Lissignol.

Nous avons commencé à réunir des sources sociologiques, politiques, économiques, etc, et nous avons rencontré des personnes qui travaillent sur la question du logement à Genève depuis de longues années.
Plus nous nous documentions, plus nous nous rendions compte de l'ampleur du chantier, de combien il y avait à savoir!

En ce qui concernait la forme, notre souhait était de nous situer au plus près du langage codifié de l'immobilier "classique", à savoir une rédaction de petite annonce employant le vocabulaire usité ainsi que des visites orchestrée par un "vrai"  agent immobilier.
Etant donné qu'aucune de nous deux ne pouvait de manière crédible passer pour tel (pour en être absolument certain nous avons nous-mêmes visité de "vrais" appartements, proposés sur le "vrai marcher" et étudié de "vrais" agents immobiliers en action), nous avons très rapidement décidé d'engager quelqu'un pour le jouer, idéalement un/e comédien/ne ou un agent immobilier double qui serait capable d'improviser sur une base de documentation et des orientations que nous lui donnerions.

Nous nous sommes très vite rendues compte de la difficulté de traiter ce sujet de cette manière, et du fil ténu sur lequel nous nous lancions sans filet.

PREMIERS QUESTIONNEMENTS, PREMIERES METAMORPHOSES
Pendant que nous cherchions un comédien, nous poursuivions l'élaboration formelle du projet et avancions dans nos recherches sur le sujet.
Nous nous sommes rendues à l'évidence que la personne que nous allions instruire de notre maigre savoir sur la situation du logement à Genève des années 70 à aujourd'hui, savoir que nous aurions tout juste laborieusement réussi à accumuler, se retrouverait dans une situation très périlleuse : nous l'envoyions dans la fosse aux lions, face à des gens désespérés qui n'auraient qu'une pensée, celle de trouver un endroit où se loger. Dans cette situation, les gens n'ont en général pas de temps à perdre ni beaucoup de recul et d'humour (comme nous les comprenons!! ). Ces gens risqueraient par conséquent de devenir agressifs en découvrant la supercherie. En nous positionnant comme des érudites du logement à Genève, avec un point fort sur les alternatives dès les années 70', nous nous mettions nous-mêmes dans une situation d'imposture tout en prenant en otage des personnes déjà assez malmenées par l'état difficile du marché du logement actuel. C'était quasi cruel!
De plus, nous risquions dans le même temps de nous faire prendre à défaut, par les professionnels et spécialistes de la question ainsi que par les habitant-mêmes de la rue Lissignol sur un sujet que nous maîtrisons forcément moins bien qu'eux.
Nous aurions perdu toute crédibilités!
Tout ceci nous éloignait de notre objectif : faire fraterniser deux mondes en soulevant des pans du voile de la méconnaissance.

Nous avons donc modifié le texte de l'annonce initiale en y introduisant la notion de "visite-performance".
Nous avons également pris un ton pour le moins décalé tout en restant dans le registre de langage que nous avions choisi. Nous avons donné un nom à notre régie immobilière fictive créée pour l'occasion, nous y avons joint comme contact un numéro pré-payed et une adresse mail.

Voici l'annonce que nous avons passée:
 


L'amie de l'immo, agence spécialisée dans l'habitat auto-approprié depuis qu'on a chassé les ours des grottes, propose la visite d'un appartement témoin; quartier de la gare, cadre sympathique et pittoresque; proximité écoles et toutes commodités.
Venez découvrir un autre mode d'habiter. Vous serez conquis par le charme désuet de son guide; surprises possibles…
Visites - performances sur rendez-vous les 12 et 13 juin.
Renseignements et inscriptions auprès de notre agence
lamie.de.limmo@gmail.com / +41 77 478 87 31

Nous nous sommes vite aperçues que même rédigées sous cette forme, nos annonces étaient sujettes à interprétations diverses.
Parmi les sites web et autres journaux, certains ont simplement refusé de publier l'annonce sous prétexte de son manque de "sérieux", d'autres au contraire nous réclamaient le tarif professionnel, la prenant pour trop sérieuse.

Il nous est difficile d'évaluer comment a été prise l'annonce par les lecteurs. Nous avons toutefois reçu un certain nombre d'appels (une cinquantaine, ce qui nous apparait comme raisonnable pour le projet)  
Les retours sur cette phase du projet ont été divers :

- Parmi les "clients" potentiels, nous supposons que la plupart n'ont pas appelé parce que cela ne leur paraissait pas "sérieux".
Sur ce point la modification de la rédaction de l'annonce apparaît comme une chose positive puisqu'elle a permis une forme de présélection.

- d'autres au contraire, ont appelé ou nous ont écrit pour acheter ou louer un bien immobilier. Ils ne comprenaient le terme de "performance" que comme exploit, prouesse, record. En s'apercevant que tel n'était pas le cas, cela devenait parfaitement incompréhensible pour eux. Ils finissaient en général par être très fâchés, ils se sentaient trompés.

- A l'exception notable toutefois d'une personne, une dame, ignorant également ce que nous entendions par visite-performance, qui n'avait jamais entendu parler de coopératives d'habitation, baux associatifs, contrat de confiance ou autres formes d'habitat en collectivité mais qui trouvait intéressant de venir voir.
N'ayant pas relevé son identité, nous ne pouvons certifier qu'elle a effectivement assisté à une visite, mais sa seule réponse nous a réjoui.

Bien entendu, nous avons publié cette même annonce dans le programme de la manifestation Baz'art et l'essentiel du public qui a assisté aux visites s'est inscrit dans ce cadre.

Afin de sortir de la situation périlleuse que nous avons énoncée plus haut, nous avons pris le parti de nous extraire du contexte, de prendre un point de vue très distancié en nous positionnant non plus comme des agents immobiliers concernés et partie prenante des implications socio-économiques mais comme des observateurs extérieurs. Nous avons procédé à l'écriture d'un texte en zoom-out extrême sur notre champs de réflexion: l'habitat de l'humain en ville et plus précisément dans la rue Lissignol, du point de vue de sociologues ou scientifiques d'un ailleurs et de temps non situés, qui s'adresseraient à des êtres qui ignorent tout de l'humain et de ses fonctionnements (sans jamais préciser à qui ils s'adressent exactement, extraterrestre humanoïde?), texte à la fois critique et humoristique.

REALISATION, REPETITIONS ET NOUVELLES MODIFICATIONS...
Suivant l'idée initiale, nous avions cherché un comédien improvisateur, nous avions trouvé une personne non professionnelle mais qui avait tout à fait le profil d'un agent immobilier et qui aurait pu improviser sur une trame issue de notre documentation et de nos recherches, le côté amateur lui donnerait, pensions nous, plus de fraîcheur et de crédibilité.
Mais comme le projet s'était métamorphosé, à ce stade du projet nous avions besoin d'un acteur humoriste, capable de mémoriser un monologue de 30 minutes dans lequel la marge d'improvisation était largement plus réduite qu'initialement.... Nous étant engagées avec cette personnes et après discussion avec elle sur la tournure que prenait le projet, nous avons décidé de tenter la poursuite de l'aventure ensemble.
Après quelques jours de répétition il devenait évident qu'il était hors de propos de laisser notre acteur-agent amateur jouer cette farce. Pour finir c'est l'une de nous deux qui a fait le guide extra-humain, ce qui était plus cohérent. L'humour, le propos et le décalage du texte étant beaucoup plus facile à assumer par celui qui l'écrit.
Cette décision a été difficile mais nécessaire.

... NOUVELLES ENTREES EN SCENE...
Afin de nourrir notre propos et de créer une dynamique de rencontres nous avons invité 8 intervenants (un/une pour chaque visite agendée). Grâce à la jauge restreinte imposée par la taille des appartements dans lesquels avaient lieu les rencontres, ces exposés se sont révélés être des moments d'échange passionnants à chaque fois, intimistes et très personnels qui ont même pu finir par des échange d'adresses en vue de futures collaborations des participants.

La visite débutait toujours en haut de la rue Lissignol, à l'angle de la rue Paul Bouchet. Y étaient abordées les particularités des différentes formes de logement le long de la rue Lissignol et s'achevait dans l'immeuble 1-3 avec la visite de deux appartements dans l'un desquels nous finissions par introduire le témoin "humain" qui selon ses sujets de prédilections tenait un bref discours sur un des aspects du logement - et par extension du mouvement - alternatif à Genève.                                                                      





... ET QUELQUES BELLES SURPRISES...
 Ainsi nous avons eu le plaisir d'inviter des intervenants tels que Charlotte Floris, secrétaire retraitée, bénévole engagée dans différentes ONG dans différents lieux du globe et habitante du quartier des Grottes, qui a parlé du mouvement social populaire qui y a eu lieu dans les années 70'-80', Philippe Rodrik, journaliste, qui a témoigné de décennies de malentendus entre médias et squatteurs, Sandro Rosetti, qui a partagé de manière touchante ses expériences de vie dans les "communes" (location de grandes villas communautaire) dans le Genève des années 70', Philippe De Rougemont, journaliste et activiste, Luca Pattaroni et ex-habitant de l'immeuble, sociologue, Roberto Broggini, historien, homme politique (actuellement élu des verts au Grand Conseil) et habitant de la rue sous bail associatif, Olivier de Marcellus, activiste de première heure qui porte toujours et encore le flambeau de nouveaux projets. Le dernier intervenant prévu s'étant décommandé à la dernière minute, Roberto Broggini a eu l'amabilité d'intervenir à la fin de 2 visites.

La rencontre avec Philippe Rodrik a été assez surprenante pour être à souligner : c'est autour d'elle que nous avons tout de même pu confronter deux mondes opposés et nous apercevoir que certaines animosités dues à des incompréhensions restent vives.
Philippe Rodrik, journaliste de la tribune de Genève, est venu en quelque sorte s'expliquer sur les ennuis, qui ont parfois mené à des violences physiques, avec les mouvements alternatifs et les squatteurs genevois durant plus de 10 ans qu'il a été à ce poste. Son récit de la haine que lui a voué le monde alternatif durant cette période suite à une incompréhension au départ, a mis une ancienne squatteuse tellement hors d'elle que, les yeux aveuglé par les larmes de colère, elle a dû fuir l'assemblée de manière précipité pour ne pas se "jeter sur lui et l'étrangler" (dixit ladite ex-squatteuse). Il a été courageux de sa part de venir s'expliquer et s'exposer de la sorte au "danger" mais nous n'avons toujours pas pu comprendre à ce jour qu'est-ce qui suscitait de telles émotions débordantes? Le langage? La tenue? Les codes de comportement? Tout ce qu'il représente?

Quoi qu'il en soit, nous sommes arrivées à la conclusion à l'issue de cette rencontre que la fraternisation entre ces deux mondes-là n'est pas pour maintenant ni pour demain encore...

PUBLIC ET ACCUEIL DE LA PERFORMANCE
A part cette surprenante réaction, la performance a reçu un accueil plutôt très positif :
- les personnes inscrites, un peu surprises et curieuses au départ se sont vite pris au jeu et ont fait fonctionner rapidement le bouche à oreille.
- les habitants des appartements et de la rue sont venus (ce que nous n'avions pas forcément prévu) et ont trouvé intérêt et amusement à voir leur vie et leurs choix de cette manière. Ils ont eux aussi pu faire des rencontres et apprendre des choses
- pour le public qui n'était pas habitué à ce genre d'événement, qui ne venaient pas du milieu alternatif et qui le connaissent peu ont trouvé la visite très "pédagogique" autant que surprenante et amusante et se sont senties plus à l'aise de déambuler par la suite dans l'ensemble de la rue et de profiter de tout ce qui y était proposé
- Certaines personnes qui passaient pas là par pur hasard et qui, attirées par la situation orateur vs. public dans la rue, se sont jointes à notre petit groupe et ont ainsi suivi la visite sans l'avoir du tout prévu (dont une dame qui du coup a fait la visite deux fois, tellement elle en avait été surprise et contente!)
La "rencontre", l'ouverture que nous avions souhaité provoquer ne s'est pas faite en amont avec ce que nous avions mis en place mais sur le moment et le lieu de la performance ce qui, à nos yeux est une belle réussite. Ce n'est pas dans l'anticipation mais dans l'instant que le lien s'est fait.

Nous avions prévu, en accord avec les habitants des appartements de limiter le nombre de participants à 8 personnes par visite pour des raisons de volume sonore et de taille d'appartements.
Or, à l'exception de la toute première visite pour laquelle nous n'avons eu que 4 inscrits, auxquelles se sont ajouté deux personnes qui passaient par là par hasard et qui se sont jointes à nous, nous avons accueilli plus du double de la jauge prévue à chaque visite. Les appartements étant habités entre autres  par une fillette de deux ans dont il était important de préserver le rythme de vie et de siestes, il n'aurait pas été possible de faire plus de 4 visites par jour sans sérieusement incommoder la vie des habitants. Il ne restait donc autre choix que d'accepter toute personne intéressée. Avec bonheur, même avec plus d'une quinzaine de personnes dans le public la visite fonctionnait.

DOCUMENTATION
Dans l'idée de conserver une trace de la performance, en vue d'archivage mais aussi d'une éventuelle suite à ce travail, nous avons décidé de la faire filmer et enregistrer. Nous avons pour cela fait appel à Aurélie Mertenat pour l'image, Rudy Décelière pour le son et Thomas Schunke pour le montage. Malgré quelques problèmes techniques et d'anticipation, nous sommes actuellement en phase de post-production (ce qui n'était pas forcément prévu initialement car nous envisagions de faire une sorte de plan-séquence) et espérons en sortir un document de 3 ou 4 minutes qui puisse nous servir de support pour d'autres projets.


NOUS REMERCIONS
- les organisatrices de l'événement de nous avoir invitées et donné quelques coups de main pour les rencontres avec les habitants des appartements
- la ville et le canton de Genève pour la confiance qu'ils nous ont accordée en nous octroyant des subventions pour la réalisation de ce projet
- les habitants de la rue qui nous ont réservé un bon accueil
- plus particulièrement les 2 Lucies, Anouk, Pierre-Yves et Jérôme pour leur hospitalité en nous ouvrant les portes de leurs appartements et en nous faisant sentir comme à la maison
- tous les intervenants qui ont tous répondu "présent" à notre demande
- nos familles (maris et ex-, enfants) pour leur patience










2 commentaires:

  1. Salut les filles,
    Découvert par hasard -le site et le projet-...
    Très belle initiative! Et ça excite la curiosité.
    Tout le meilleurs pour 2013 (et toutes les autres).
    Bises au chocolat belge
    Dimitri

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  2. hey!
    Bonne année à toi Dimitri Anonyme (ton nouveau nom?) et au plaisir de te voir quand tu apsseras à Genève.
    pourtoujourtonamie
    S.

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